Mixologie

Le Pisco Sour : bataille historique Pérou vs Chili

La complexité de cette histoire tient notamment au fait que les premières traces écrites de production de pisco remontent au XVIIIe siècle, avec des documents attestant sa présence tant au Chili qu’au Pérou. Les archives coloniales mentionnent notamment la préparation d’un mélange rudimentaire de pisco et de citrons aux abords de la Plaza de Acho, dans la vice-royauté du Pérou, considéré par certains historiens comme l’ancêtre direct du Pisco Sour. Cette boisson primitive, servie aux spectateurs des corridas, préfigurait déjà l’association caractéristique entre l’agrume et le spiritueux qui fait aujourd’hui la renommée du cocktail.

L’émergence d’un cocktail emblématique (1903-1920)

L’histoire moderne du Pisco Sour prend véritablement son envol en 1903, lorsque Victor Vaughen Morris, un entrepreneur américain venu au Pérou pour développer le commerce minier, ouvre le désormais légendaire Morris Bar à Lima. C’est dans cet établissement que naît la première version documentée du Pisco Sour tel que nous le connaissons aujourd’hui. Morris, cherchant à créer une alternative locale au Whiskey Sour alors en vogue, expérimente avec le pisco local et développe une recette qui deviendra rapidement la signature de son établissement.

Fait remarquable, un livre de cuisine péruvien publié la même année suggère que le Pisco Sour pourrait en réalité être une création bien plus ancienne, issue de la tradition créole liménienne. Cette source historique laisse entendre que le cocktail était déjà préparé dans les foyers de Lima depuis plus d’un siècle, bien avant que Morris ne le popularise dans son bar. Cette dualité entre innovation étrangère et tradition locale ajoute une couche supplémentaire de complexité au débat sur les origines du cocktail.

L’âge d’or et la standardisation (1920-1934)

Les années 1920 marquent un tournant décisif dans l’histoire du Pisco Sour, notamment grâce à l’intervention du talentueux Mario Bruige. Ce bartender visionnaire perfectionne la recette en y ajoutant deux éléments qui deviendront indissociables du cocktail : le blanc d’œuf, qui apporte sa texture caractéristique, et quelques gouttes de bitter d’Angostura, qui en complexifient le profil aromatique. Cette innovation technique transforme définitivement une boisson locale en un cocktail raffiné capable de rivaliser avec les plus grandes créations mixologiques internationales.

La première référence écrite officielle au Pisco Sour apparaît en 1928 dans une publicité du Bar Morris à Lima, suivie quelques années plus tard par une mention dans le roman « La Chica del crillón » de Joaquín Edwards Bello en 1934. Ces documents historiques témoignent de l’ancrage progressif du cocktail dans la culture populaire sud-américaine et de sa transformation en véritable symbole national, tant au Pérou qu’au Chili.

La bataille contemporaine pour l’héritage (1934-2013)

La rivalité entre le Pérou et le Chili autour du Pisco Sour s’est intensifiée au fil des décennies, dépassant largement le cadre de la simple dispute gastronomique pour devenir un enjeu de fierté nationale et de diplomatie culturelle. Cette querelle s’inscrit dans un contexte plus large de revendications patrimoniales, comme en témoigne la création parallèle aux États-Unis du Pisco Punch par Duncan Nicol au bar Exchange Bank de San Francisco, démontrant le rayonnement international précoce du pisco.

L’année 2013 marque une victoire significative pour le Pérou dans cette bataille culturelle, lorsque la Commission européenne reconnaît officiellement le pisco comme partie intégrante du patrimoine culturel péruvien. Cette décision historique, célébrée par les Péruviens avec force Pisco Sours, n’a cependant pas mis fin à la controverse. Les deux pays continuent de revendiquer la paternité du spiritueux et de son cocktail emblématique, chacun défendant farouchement sa version de l’histoire et ses traditions de production.

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