L’histoire du Death in the Afternoon : Hemingway champagne

Pour qui sonne le glas... et pétille le champagne : la création alcoolisée d'Ernest Hemingway

La première apparition officielle du Death in the Afternoon remonte à 1935, dans un ouvrage aussi original qu’intrigant intitulé « So Red the Nose, or Breath in the Afternoon ». Cette compilation unique rassemblait des recettes de cocktails créées par des célébrités de l’époque, offrant ainsi une fenêtre fascinante sur les goûts et les habitudes des personnalités influentes des années 1930. Le nom du cocktail lui-même est un clin d’œil direct à l’œuvre non-fictionnelle d’Hemingway « Death in the Afternoon », publiée en 1932, dans laquelle l’écrivain partageait sa passion pour la tauromachie espagnole et décryptait les rituels complexes de cet art ancestral.

La genèse d’un cocktail légendaire (1932-1935)

L’histoire du Death in the Afternoon prend véritablement racine dans les expériences personnelles d’Hemingway au cœur du Paris intellectuel des années 1930. Installé dans le quartier de la Rive Gauche, l’écrivain américain s’était constitué un cercle social éclectique, comprenant notamment des officiers de la marine britannique avec lesquels il partageait son goût pour les spiritueux audacieux. C’est dans ce contexte de camaraderie et d’expérimentation que naquit l’idée de marier l’absinthe, symbole de la bohème parisienne, au champagne, incarnation du luxe à la française. Cette création reflétait parfaitement la dualité d’Hemingway : à la fois intellectuel raffiné et aventurier intrépide, capable d’apprécier tant les plaisirs sophistiqués que les émotions fortes.

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La publication de son livre « Death in the Afternoon » en 1932, consacré à sa passion pour la corrida, marqua un tournant décisif dans la conception du cocktail. L’ouvrage, qui explorait les thèmes de la mort, du courage et de la beauté à travers le prisme de la tauromachie espagnole, créa un pont symbolique entre la culture européenne qu’Hemingway admirait tant et ses propres créations artistiques. Trois ans plus tard, lorsqu’il fut sollicité pour contribuer au recueil « So Red the Nose », l’écrivain choisit naturellement de baptiser sa création en hommage à cette œuvre qui lui tenait particulièrement à cœur, établissant ainsi un lien indélébile entre littérature et mixologie.

L’art de la préparation selon Hemingway

La recette originale du Death in the Afternoon, telle que transmise par Hemingway lui-même, révèle une approche précise et méticuleuse de la mixologie. L’écrivain préconisait l’utilisation d’un jigger (environ 45 ml) d’absinthe, versé dans un verre à champagne, puis l’ajout progressif de champagne glacé jusqu’à l’obtention d’une opalescence laiteuse caractéristique. Cette transformation visuelle, presque alchimique, était au cœur de l’expérience du cocktail. Hemingway recommandait de consommer trois à cinq de ces cocktails, mais insistait sur l’importance de les déguster lentement, permettant ainsi d’apprécier pleinement l’évolution des saveurs et la complexité des arômes.

La précision des instructions d’Hemingway témoigne d’une véritable réflexion sur l’art du cocktail, dépassant la simple recherche d’effets alcoolisés. Le choix spécifique du champagne glacé, la patience nécessaire pour obtenir la louche parfaite (cette opalescence distinctive), et l’attention portée au rythme de consommation démontrent une compréhension fine des principes de la mixologie, surprenante pour un écrivain plus connu pour ses exploits littéraires que pour ses talents de barman.

L’héritage culturel du Death in the Afternoon

Le Death in the Afternoon transcende largement son statut de simple cocktail pour s’inscrire dans une tradition culturelle plus vaste. Dans le Paris des années 1930, ce breuvage incarnait la rencontre entre la tradition française du champagne et le mystère sulfureux de l’absinthe, deux spiritueux profondément ancrés dans l’imaginaire culturel européen. La création d’Hemingway représentait également une forme de pont entre les cultures américaine et européenne, reflétant l’internationalisme croissant de l’entre-deux-guerres et l’émergence d’une nouvelle sensibilité artistique globale.

L’impact du Death in the Afternoon sur la culture des cocktails perdure jusqu’à aujourd’hui, notamment grâce à son association avec la personnalité plus grande que nature d’Hemingway. Dans les bars spécialisés du monde entier, ce cocktail continue d’intriguer et de fasciner, non seulement pour ses qualités gustatives uniques, mais aussi pour l’histoire riche qu’il véhicule. Au Harry’s New York Bar de Paris, établissement historique où Hemingway était un habitué, le Death in the Afternoon occupe toujours une place de choix sur la carte, témoignant de la pérennité de ce patrimoine mixologique littéraire.